mardi 19 août 2008

L'histoire d'Il était une fois

"La force physique" - Huile - ISO Bastier



L’histoire d’Il était une fois


L’horizon s’est strié de rouge. Les animaux sont aux aguets.
Quelque chose semble vouloir se produire par-delà de la montagne.
Les herbes plient sous le vent. Le soleil meurt. Des nuages inquiétants plombent, d’un coup, les féeriques couleurs du ciel. Un frisson parcourt la colline d’un vert sombre. Une nuée d’oiseaux se disperse dans l’épaisseur atmosphérique. Le chien écoute au loin, statique. Le chat scrute l’obscurité. Les arbres bruissent et se concertent. Les fleurs s’éteignent pour la nuit. Le sol se met à vibrer comme si un géant écrasait tout sur son passage. Une lueur étrange perce l’étoffe nuageuse. De la poussière s’élève de la terre. Le chien se replie. Le chat fait la grosse queue. Un tourbillon d’insectes se forme dans un faisceau doré qui filtre la lourdeur de l’orage. Le paysage enfle. Les astres sont absents. Une bourrasque se profile dans la végétation. Le temps s’arrête. Un éclair. Un roulement de tambour. Un tambour ancestral. Puis le corps chaud de la pluie qui éclabousse les pierres. La mousse se gorge d’eau et s’étale en tapis duveteux. Le chien rentre à la niche, la queue basse. Le chat se passe la patte derrière l’oreille. La danse sensuelle de cette pluie musicienne anime les fougères et les feuillages. Elle s’exprime pour la nature et commence à ruisseler contre les carreaux. Des rigoles serpentent sur le verre. Le bois de la fenêtre gonfle et craque.

C’est le moment de s’approcher de l’âtre. Le feu aime jouer dans la cheminée. Il s’agite depuis les braises volcaniques et lèche l’air de ses langues brûlantes. Se frotter les mains dans cette chaleur réconfortante. Bénéficier d’un doux lainage et écouter la pluie dehors…

La pièce est un cocon protecteur. Les choses sont à leurs places, silencieuses. Une lumière tamisée ajoute à la quiétude du lieu.

À l’extérieur, l’ondée acariâtre grimace alors que le jour s’enfuit. Des gouttes aux doigts transparents pianotent sur les carreaux, elles souhaitent entrer, puis, par désespoir, elles se laissent fondre et disparaissent.

Le livre est posé là.
Juste à côté.
Il suffit de le saisir.
Caresser la couverture en mémoire de toutes ces mains qui l’ont tenu un jour.
L’ouvrir. Frémir. C’est une première rencontre !
Poser les yeux et décrypter l’encre.
Lire. Voyager. S’instruire. Se faire plaisir.
Se faire son cinéma.
Se gaver d’émotions.

« Il était une fois au pays d’Il était une fois, l’histoire d’Il. »

« Il n’avait pas d’ailes. Il ressemblait à un enfant ordinaire. Il l’était. »

« C’est l’histoire d’un enfant tout ce qui existerait de plus normal, qui se serait échoué dans un conte très bizarre. »

« Il s’était réveillé un matin et tout ce qu’Il avait connu avait changé. Il ne reconnaissait plus rien, ni personne. Il se sentait seul et incompris car les autres ne se doutaient pas d’où Il venait. »

« Il avait ouvert un œil, contraint de se réveiller sous la menace de la voix tonitruante d’un petit chef qu’Il ne connaissait pas :
- Allez ! Debout ! Assez finassé !
Le petit chef avait tapoté sa coiffe et il avait repris d’un ton agressif :
- Allez ! Il doit aller travailler !
Il ne s’était pas fait prier et Il avait suivi les indications du chef. »

« Pas de réveil câlin avec Papa et Maman. Pas de petit-déjeuner fumant. Pas de gâteries. »

« Il avait bientôt rejoint l’Usine. Le petit chef l’avait conduit jusqu’à une machine qui clouait des yeux dans des têtes de poupées. Il n’avait qu’un gros levier à manœuvrer dès qu’une tête se présentait sur le tapis roulant avant de partir pour un atelier de maquillage. Ce travail n’était pas trop fatiguant, en revanche, il était excessivement répétitif. Le petit chef ne se tenait jamais loin. Il surveillait d’un œil torve. »

« Ce n’était pas l’école. Pas de sonneries libératrices. Pas de récréations. »

« Que des têtes et des têtes. Des têtes encore des têtes. Des regards inexpressifs plantés dans des visages sans âme. »

« Le ronronnement du tapis roulant. Lever le bras. Baisser le bras. Rien n’indiquait d’heure. Le petit chef se frisait la moustache avec ironie. Parfois, il tapait du pied ou il rappelait à l’ordre. »

« Il était pris dans la machine. Elle l’hypnotisait. Elle berçait le rythme de ses pensées. Elle l’absorbait totalement. Au point que plus rien ne s’avérait anormal. Ce mouvement incessant, ce ronronnement mécanique comblaient le vide des possibilités. »

« Il levait le bras. Il le rabaissait. Le petit chef claquait du talon. Il regardait une nouvelle tête arriver, éternellement la même. Il levait le bras, le baissait. Et cette armée de poupées ne s’arrêtait jamais de paraître. »

« Il avait des crampes. Le petit chef était tombé sur sa chaise. Il guettait l’instant où il pourrait échapper à la vigilance de son gardien, or, le petit chef ne dormait pas. Il reniflait et il claquait de la pointe du pied. »

« Il avait le ventre qui manifestait. Le petit chef finissait son sandwich. Cependant, Il songeait à ces merveilleux goûters qu’Il avait savourés. Le passage à la boulangerie. Le pain au chocolat fondant parce qu’encore chaud. Il salivait. La cadence des machines ne parvenait plus à l’endormir. Une saveur perdue et délicieuse se réveillait au fond de lui. Une saveur d’un autre monde, le goût de l’enfance. »

« À force de persévérance, le petit chef avait fini par s’endormir et Il avait profité de l’opportunité pour déguerpir. Il avait couru, couru. »

« Il se trouvait désormais dans une clairière. Des rosiers de toutes les couleurs bordaient un chemin. Un panneau indiquait : ‘Le Chemin du Retour’. Il avançait sans plus s’interroger, lorsqu’Il dût constater qu’Il n’était pas sur une voie unique mais qu’Il parvenait à un carrefour. »

« Un second panneau mentionnait : ‘La Vraie Vie’ »

« Un doute le saisissait. Le Chemin du Retour ? La Vraie Vie ?
Pour l’Usine, c’était déjà jugé. Il ne voulait pas y remettre les pieds.
Le Chemin du Retour, Il l’avait espéré.
La Vraie Vie ? Il était troublé. Ce serait l’aventure !
Il se dit que s’Il a été arraché à son quotidien, ce n’est peut-être pas par hasard. Il se dit qu’ailleurs est peut-être la solution. Il tergiverse. Il se tente et se raisonne. Il est perdu au royaume d’Il était une fois. Enfin, pour mettre fin à son débat, Il se livre à son instinct, à son envie. Il commence à marcher sur le chemin de La Vraie Vie. »

« Le jour se lève. Ce doit être merveilleux La Vraie Vie ! Il gambade insouciant. Il a le cœur léger. Voici qu’Il arrive à une intersection. Deux panneaux. Sur l’un : ‘La Ville des Adultes’. Sur l’autre : ‘Le Sommeil des Enfants’. »

« Il sait en enfant ordinaire qu’Il est, que la sagesse serait de choisir Le sommeil des enfants. Cela étant, l’attrait de la découverte possède des charmes irrésistibles. Aussi s’engage-t-Il en direction de La Ville des Adultes. »

« Ça grouille et c’est plein d’enseignes publicitaires. Il y a un brouillard de voitures et des coups de klaxon. Pourtant, dans cette foule d’anonymes, Il reconnaît quelqu’un. Il s’attache à cet individu qui n’est autre que lui-même plus tard. Il tient la main à l’adulte qu’Il sera. Celui-ci, esclave de son programme au sein de l’énorme cité, le regarde d’un air dépourvu et ne sait comment faire pour s’en débarrasser. Il lui lâche la main tout en continuant de le suivre. Il est l’ombre de lui-même. Tout va si vite. L’homme court. Il court. Soudain, Il ressent un effet de déjà vu. L’adulte l’a mené jusqu’à l’Usine. Un petit chef crie dans un coin. Son double aide à l’assemblage d’une automobile. Le petit chef rouspète et tape du pied. Il déboule :
- Qu’est-ce que tu fais là ? Tu veux travailler toi aussi ?
Il prend ses jambes à son cou. Il décampe. Il cavale. Il ne se retourne pas. »

« Il parvient jusqu’à une clairière. Les ronces ont tout envahi. Mais Il se remémore l’endroit. Il est haletant. Il ramasse un bâton et en usant, Il découvre un panneau de signalisation recouvert par un lierre. ‘Le Chemin du Retour’. »

« Il est soulagé tandis qu’Il emprunte le sentier (qui a bien changé depuis sa dernière visite).
Ce pourrait être une fin d’après-midi à la campagne. »

« Il a le cœur encore serré de son expérience.
Faudrait-il servir un autre que soi-même tout au long de son existence ?
Obéir à ses parents. Apprendre à mieux obéir à l’école pour espérer pouvoir obéir à l’Usine.
À quel moment est-on vraiment maître de soi-même ?
Être maître des apparences, est-ce cela l’âge adulte ?
Autoproduire sa propre illusion. »

« Il s’immobilise. Le Chemin du Retour l’entraîne vers ce destin-là !
Il ne veut plus grandir. Il régresse. Il poursuit en arrière et finit par débusquer le panneau correspondant à La Vraie Vie, dans un bosquet. Il accélère le pas. Il cherche l’intersection. Il est passé par ici de par le passé, la fois, au pays d’Il était une autre fois, où, Il avait opté pour La ville des Adultes. Il s’impatiente. Il s’énerve. Il trébuche. Il est tard maintenant. Il a marché longtemps, le temps d’une vie. Le crépuscule s’installe tandis qu’Il songe à la voie des rêves et qu’Il trouve épuisé le panneau bénit du Sommeil des Enfants. »

Le livre se referme.
Les paupières sont lourdes sinon closes.
Il est l’heure de dormir.





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