mercredi 20 août 2008

Agonie terrienne

"Agonie terrienne" - Acrylique - 01 01 2003 - Iso Bastier



Agonie terrienne


Lorsque mes deux mondes se rejoignent alors seulement je suis chez moi.
Les mobiles en coraux venus de Koh Phangan et de Koh Lipe tintent contre les murs en crépi de la maison sénonaise de ma mère. Les oiseaux suivent le beau temps, des nuages dansants d’étourneaux, des hirondelles très haut, des piafs dans la cour à l’ombre de l’aucuba où nichent les merles. Le ballet crépusculaire des chauves-souris dans la perspective illuminée de la cathédrale me rappelle le déclin désinvolte du soleil dans le golf siamois. D’où que je sois, je peux toucher le ciel. Je ne pense pas en kilomètres, je pense en pensées. Je ne compte pas sur l’argent, je compte sur moi. Je n’attends plus rien des politiciens, j’ai foi en la nature. Je fusionne chaque instant avec les éléments que je provoque. Ma jeunesse joue au jeu du foulard, sans doute parce que je refuse de vieillir dans l’abnégation. Tout ceci m’appartient : l’insolence du vent, la douceur des nuages, la moiteur, le chant du chardonneret élégant, tout ceci vit en moi. Mes atomes sont autant de planètes que celles que la nuit dévoile. Je sens le passé, je ressens le présent, je pressens l’avenir. Je regarde mes mains qui brûlent du désir de m’accomplir, elles ne tremblent pas encore. La pluie m’appartient, l’aube frémissante, le chant du coq. J’ai perçu le cri du papillon, après l’avoir sauvé de la noyade, je l’ai mis à sécher au bord de la mare, le soleil a fait le reste. Je me suis méfié des chasseurs de loups et j’ai prié pour les moutons, la ouate des cumulus, la poussière sous la commode, les souvenirs de Panurge. Les têtes insouciantes grisées par le pouvoir s’éloignent de l’humain, elles batifolent au point de parler sans réfléchir, posent des problèmes plus qu’elles n’en résolvent, vénèrent un dieu de papier et misent tout sur les toilettes de Marie-Antoinette. L’arôme du terroir, la vergue du patois, l’identité, l’appartenance, l’universalité, l’amour de la terre, la récolte, le partage, la découverte de sa nature, ne refoule-t-on pas l’essentiel ? Les racines ? L’origine ? Les vieux ? Celui qui s’égare ne doit pas craindre de rebrousser chemin afin de recouvrer sa route. Celui qui a mal fait ne doit pas redouter de le reconnaître, il serait moins pardonnable de l’omettre et de s’entériner dans son erreur, tout est perpétuellement à refaire ! L’erroné fuit en avant car il appréhende l’inconnu moins que le connu. Le sansonnet perché sur la cheminée en pierre du pays de l’Yonne nous regarde passer. Un corbeau croasse sous un érable. Les chats du quartier sillonnent le secteur en chasse. La nuit succède au jour sans que plus personne n’en soit surpris. Dire qu’en dormant dans les arbres j’ai prié pour que le jour se lève encore et encore, pour que la lueur soit, pour que la lumière fuse… Tel un enfant toujours aveuglé par les ténèbres terriennes, j’ai eu peur du noir et j’ai cherché à vaincre ces inconnus : la nuit, le néant, la mort. J’ai terrassé la planète… Je me suis vaincu moi-même, maintenant, je dois me combattre ! Je dois commencer par me soigner, par guérir de mes blessures avant de porter secours à ce qu’il reste de la vie. Je dois redescendre sur Terre. Les fantasmes accessibles sont lâchés dans l’arène de la consommation. La société s’arme pour faire face à ce (ceux) qu’elle crée, à ses excès, elle se tire dessus : elle se suicide !!! Il faut dominer son masochisme pour ambitionner au bonheur. Il faudrait changer de valeurs car l’homme vaut plus que du papier, plus que du bla bla. L’homme mérite de se respecter, lui qui a surmonté sa peur, perdu nu dans l’univers, qui a traversé mers et océans, gravi des montagnes, pénétré les entrailles de sa mère et touché les abysses. L’homme a des mérites, sa pugnacité, son intelligence, son humour… J’en tiens compte. Pourquoi me vouer à l’insatisfaction ? Les bruissements des feuillages des chênes, des marronniers, des noisetiers m’appartiennent… Le chant du vivant…Les aubes sensibles… Les zones impénétrables… Le regain du printemps… L’air du large… Le fluide bat à mes tempes, la sève de ma survie : mon sang ! Ce sang qui tapisse ma mémoire de ces cauchemars dont naissent les rêves. Cette existence-là. A qui la dois-je ? A mes parents ? A la nature ? Cette existence à la fois rude et fragile, cet instant dans le bouillonnement du temps, cette vibration des ailes du papillon réagissant d’instinct à l’appel des fleurs. Qui suis-je ? De quelle technologie suis-je issu ? Quelle est la portée de mes actes, mes petits oublis quotidiens, mes pertes d’énergie, mes dépressions ? Suis-je aussi important qu’il me paraît ? Irremplaçable ? Les premières étoiles voilées dans une dentelle de nuages m’appartiennent et ce sourire énigmatique de la lune… Mais, à qui appartiens-je ? Suis-je le seul maître à bord ? De quel bord ? Et quel maître ? Quel sens a tout cela ? Celui des trompeuses perceptions ? Celui de la morale ? Quelle justice ? Où se trouve donc l’équilibre de ce monde que j’ai compliqué ? Plus complexe est la tâche qu’elle n’y paraissait. Il n’est plus temps de gaspiller l’énergie qui nous reste, désormais il faudra se contenter autrement, cessez d’être vaniteux et superficiels, surtout se contenter, réapprendre le désir et les plaisirs simples. Le fossé entre la technologie et la nature ne cesse de se creuser, d’un côté : l’homme des bois avec son pagne de feuilles, de l’autre : l’androïde au service des corps en manque d’affection. Les extrêmes s’affrontent sans se rejoindre en ce point, qui, les rapprochant, leur donnerait une vision plus juste. Se satisfaire en se réadaptant nous changerait de cette course folle à l’expansion destructrice. Où est l’essentiel ? Peut-il s’acheter ? Le matériel n’est-il pas que le reflet du corps, de ses limites ? Alors que la spiritualité nous a enseigné les expressions artistiques, la foi en l’avenir, qu’elle a poussé l’âme humaine à surpasser ses propres frontières, à protéger nos connaissances, nous l’avons végétalisée : nous la méprisons comme ces plantes sans lesquelles nous ne pourrions pas respirer. Chacun de mes pas écrase les herbes sur le bord de la route. Où est mon cœur végétal ? Cet organe fait d’eau et d’âme qui danse avec l’air de la vie. Je n’ai plus le temps de la contemplation, j’avance sans recul. Pourtant il serait bon de prendre de la distance… Bon de s’asseoir sous le platane, d’écouter les feuilles tomber. Comment se réveiller du rêve qui a viré au cauchemar ? Oui, réveil il y aura ! Les masques flottent à la surface des eaux. La misère n’a plus de visage, elle erre dans les cités virtuelles où fuit vers les campagnes désertées. La misère, le mal, la misère infernale, le dénuement actuel… Le malheur des trop humains que la tribu des individualistes, des opportunistes, des arrivistes, a dissout. La vengeance viendra de la déesse ! Gaïa s’opposera au petit dieu de papier. Quel est le pouvoir de l’argent face aux forces de la nature ? Celui qui doute ne devrait pas hésiter à revisiter l’Histoire. L’erreur est humaine cependant éternellement la perpétuer marque un blocage dans le système, un bug. Notre civilisation avide de savoir avait fait de l’évolution un progrès, or voici que l’adulte régresse, retombe en enfance, joue avec des gadgets qui trahissent la réalité. Me rééduquer ? Le savoir du passé ? La pédagogie futuriste ? Non ! Rajuster la forme de mon quotidien. Réévaluer mes besoins. Retrouver la foi. Croire. S’éveiller avec la certitude que le monde créé n’est pas le monde qui est, que si je peux changer, le monde changera. CROIRE pas espérer. Agir sans attendre. Croire sans être esclave des religions, croire en ce qui est, cette Terre qui nous a vu naître. Croire au palpable, toucher sa croyance, laisser glisser ses doigts le long du mur de pierre, rouler dans les mousses, patauger dans les flaques, tendre les bras vers le ciel. D’où que je sois je peux toucher ce ciel ! La vie m’appartient, je suis la vie ! La vie a besoin de moi comme j’ai envie d’elle. Nous sommes si lents à ouvrir les portes, à nous libérer de nos torpeurs familières. Pourrons-nous joindre les deux bouts ? Il n’y a pas de bout du monde. Il n’y a que la mort au bout du chemin. Mourir pour rien ? Vivre sans conviction ? Se réfugier dans le cocon rassurant de l’ignorance ? Entretenir ses peurs intimes pour mieux se laisser protéger, observer et contraindre ? Ou respecter sa mère ? Se refuser à bafouer ses origines ? Contraindre sa nature ou contrarier la nature ? Dilemme… Quand les deux hémisphères de mon cerveau se connectent alors seulement je suis chez moi. Je suis à la fois matériel et spirituel. Tant que je ne croirai pas en ce que je fais, je traînerai un esprit malade, bancal, je boiterai entre mes déchets d’être trop physique. J’aurai peur de mon ombre. Je serai un gentil mort vivant offensé par l’existence. Je serai telle une cellule cancéreuse, incapable de me souvenir de ma mission initiale, du rôle que j’ai à jouer et je contribuerai à la chute de l’organisme qui est le mien. Nous continuons de crucifier Hitler sur la porte des dictateurs mais qui forme l’armée des ombres d’aujourd’hui ? Qui perce la couche d’ozone ? Quels fascistes ? Les manipulateurs de la génétique ? De la robotique ? Les meneurs de campagnes ? Les nouveaux nobles ? La masse aveugle et sourde ? Qui est le responsable ? Qui ose s’opposer à l’ordre des choses ? Vous ? Moi. L’Homme. Cet homme en péril inconscient des malheurs qui le guettent. Cet homme épris de la jeunesse au point d’isoler ses aïeux. Cet homme qui dans l’angoisse de sa routine hypocondriaque congédie les vrais malades et se fait droguer sur ordonnance pour ne pas se regarder en face. Cet homme lunatique et vorace, l'inassouvi. Cet immature à l’école de l’égoïsme, cet enfant auquel on tolère tout, sans repère dans l’immensité insondable...
Je longe un buisson de millepertuis créant une secousse entre les fleurs jaunes. Je me divise trop, je m’éparpille. Alors que je pourrai faire la symbiose entre mon corps et mon esprit, me sentir entier, je me découpe en tant de facettes que je ne me reconnais pas moi-même, je suis des modes, des codes, des langages parfois inquiétants. Je me laisse impressionner, influencer et distraire. J’oublie souvent d’où je viens. Je rêve de partir ailleurs, la conquête du virginal, l’adrénaline du mystère, mais je dois rester là, à l’endroit qui m’a conditionné sinon je deviens marginal, un destin aventurier. Et puis n’est-ce pas partout pareil ? Notre monde n’obéit-il pas à un seul maître ? Un ennemi virtuel que l’on appelle le matériel, un bout de papier. Du papier qui pèse lourd, du papier qui vaut de l’énergie, qui dévaste les forêts, les pays, qui provoque des guerres de mauvais sentiments, du papier qui pousse à l’avarice, à la jalousie, à cette ivresse de la puissance qui rend l’être égotique, sournois, incontrôlable et paranoïaque. L’argent à tous les droits, les humains ont tous les devoirs. Taxes Land – Fric (Freak) Land devrait-on renommer cette planète ... La Terre se meurt !!!

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